Féminismes de «droite» ou de «gauche»?
joelle fiss 10 dec 2023
Voilà qu’on me demande d’écrire un texte pour le 14 juin, signé une «féministe de droite»! Mmmmh. Vous tombez mal. Je conteste les étiquettes qui visent à asphyxier toutes mes autres identités. A mes ami(e)s «féministes de gauche», n’oubliez jamais que vous êtes tellement plus que la somme autoproclamée de vos étiquettes! Mais… On peut tout de même comparer.
Y a-t-il un féminisme de «droite» et un féminisme de «gauche»? Il y a différentes visions de la manière d’atteindre l’égalité des sexes et de remédier aux inégalités basées sur le genre. Pour schématiser, la droite insiste sur le principe universel de l’égalité devant le droit. Elle vise les politiques publiques qui facilitent l’émancipation individuelle – ce qui comprend la liberté de choix des femmes en tant qu’individus. La gauche, elle, a plus tendance à mettre l’accent sur la construction sociale des genres, et cherche à déconstruire les normes traditionnelles et systémiques qui sont selon elle, la source originelle de l’inégalité.
Défiler pour l’égalité salariale le 14 juin, c’est une évidence qui n’appartient ni à la gauche, ni à la droite: c’est un combat qui unit tout le monde. Chaque personne, indépendamment de son sexe, sa race, sa religion, son origine sociale ou tout autre critère, doit pouvoir participer sur un pied d’égalité et accéder à des postes sur le marché du travail en fonction de son talent et de ses compétences. Une femme mérite un salaire égal à celui d’un homme, non parce qu’elle est une femme, mais parce qu’elle a développé des compétences qui reflètent ce salaire-là. Au nom de toutes les femmes, elle a le devoir d’affirmer sa légitimité, haut et fort. Contrairement à ce que l’on dépeint souvent, elle n’est pas en compétition avec un homme, mais avec le marché.
Pour ceux qui douteraient de la pertinence de ce combat, la fiche de salaire d’une femme est inférieure en moyenne de 1500 francs, soit de 18,0%, par mois. Des politiques publiques et une législation solide sont essentielles pour remédier à cet écart. D’abord, il faut une législation solide pour remédier à cet écart. A Genève, la nouvelle loi sur l’égalité et contre toutes les discriminations, adoptée par le Grand Conseil en mars 2023, et proposée par la conseillère d’Etat PLR Nathalie Fontanet, œuvre dans ce sens.
En parallèle, il faut lutter contre les préjugés et les biais inconscients contre les femmes. Car au-delà des prescriptions formelles, les perceptions, attitudes et comportements contribuent également aux clichés autour du sexisme. Pour les changements graduels à ces niveaux-là, c’est toute la société qui joue un rôle, qu’on soit de droite ou de gauche, femme ou homme.
La question de la participation politique offre une différence explicite entre le féminisme de droite et de gauche. (On parle bien de Genève. Il va de soi que ce qui marche à Genève est inapplicable à Kaboul).
A Genève, le nouveau Conseil d’Etat dispose pour la première fois d’une majorité féminine. Le PLR a sélectionné deux candidates pour le Conseil d’Etat, Nathalie Fontanet et Anne Hiltpold, sans aborder les questions de quotas; elles ont été élues sur la base de leurs talents et mérites. Il en est de même pour la présidente PLR du Grand Conseil, Céline Zuber-Roy, première citoyenne du canton récemment élue.
Il en résulte un cercle vertueux, où des femmes peuvent servir de modèles inspirants pour les autres femmes en politique – mais également pour la population dans son ensemble, y compris les hommes. Ces femmes occupent des positions d’autorité sans revendiquer leur appartenance au genre féminin, mais en conquérant les esprits et les cœurs des électeurs. De ce point de vue, leurs victoires électorales ont pu atteindre des objectifs que les quotas ne peuvent pas. Cela ne signifie pas en revanche qu’il faille se complaire dans la passivité en attendant qu’une femme se présente: au contraire, il faut encourager activement les femmes à se présenter à des postes importants.
Les batailles féministes sont reprises de génération en génération. A chaque époque, l’on ajoute une nouvelle pierre à l’édifice historique. Or, l’un des phénomènes alarmants de nos temps réside dans le fait que des combats qu’on pensait avoir autrefois gagnés, ont tristement reculé. C’est ce qu’on a vu aux Etats-Unis, lorsque, en 2022, la Cour suprême des Etats-Unis a renversé l’arrêt qui garantissait aux Américaines le droit à l’avortement dans tout le pays. Aujourd’hui, les Etats-Unis doivent revivre dans le contexte d’avant l’arrêt emblématique Roe v. Wade de 1973, quand chaque Etat était libre d’autoriser l’avortement ou non. Cinquante ans plus tard, la situation s’est détériorée et l’Europe n’est certainement pas à l’abri d’une telle éventualité.
L’objectif d’aujourd’hui est donc double: «avancer» mais également «ne pas reculer»! Qui l’eût cru?