Lettre à mes lecteurs de la Tribune:

sur la religion, la laïcité, la liberté d’expression

Joelle Fiss , 3 déc. 2019

Chers lecteurs de mon blog à la TdG, bienvenus dans mon univers contradictoire.

Décidemment il n’y a rien qui fait plus bouillonner le sang chez tout citoyen engagé que la religion. Elle s’immisce partout dans des grandes questions d’actualité.

Dans mon dernier blog qui se réfère à une décision judiciaire sur la loi de la laïcité adoptée en février 2019 (vous pouvez lire le blog ici), j’ai reçu des commentaires où l’on me traite, pour ne pas caricaturer (!), de naïve pleine d’angélisme face à l’Islam. En gros, je serai un peu crédule, voire ignare, face aux grandes questions qui nous préoccupent tous.

Plus précisément, l’on me place dans la catégorie de « très gentils progressistes». Je fais partie, paraît-il, de la « propagande mondialiste » et je suis aveuglée par la réalité alarmante qui viendra prochainement lorsque « l’Europe sera totalement islamisée » et que les « musulmans dirigent la Suisse et l’Europe ». D’autres commentateurs de mon blog appellent à empêcher la mise en place d’une « République des juges, république franc-maçonne et anti-démocratique». Et puis, sachez que « quand la charia aura remplacé notre système juridique, on aura fini de rigoler», commente un autre lecteur.

Les commentaires qui ont suscité mon blog me font penser à la citation de Nicolas Machiavel: “Le mal se déguise souvent sous l’apparence du bien*”. Eh oui, je suis le mal. Sous l’apparence du bien!

Chers lecteurs, j’aimerais utiliser cette opportunité pour clarifier qui je suis. Et, aussi pour vous dire que je vais méditer sur la modération de mon blog à l’avenir.

Mon métier, c’est d’étudier des questions complexes autour de la religion. Et, entres autres, d’analyser la barbarie commise au nom de la religion. Par exemple, j’étudie les schémas de la violence du djihadisme islamique- en particulier les allégations de « blasphème » qui persécutent libéraux, humanistes, dissidents politiques, athées, minorités religieuses ou intellectuels pour insulte ou idée offensive contre le « sacré ».

Or, les droits de l’Homme protègent les hommes, pas la religion. C’est mon combat.

Qui sont les victimes ? Des athées au Bangladesh. Des Chrétiens au Pakistan. Des dissidents ou intellectuels en Arabie Saoudite. Des Bahai’ en Iran. Des Ahmadis en Indonésie. Des Coptes en Egypte. Et la liste continue. Souvent les musulmans intellectuels dissidents sont les premières victimes. Ils sont très courageux. Bien plus que nous. Ils risquent leur vie en permanence pour exprimer leurs idées.

Mon métier, c’est aussi d’analyser le phénomène de la liberté de religion ou de conscience- et le droit de manifester librement ses croyances selon le droit international. Il y a de plus en plus de violence, de haine et d’intolérance dans le monde. Or, la liberté de pensée, celle d’exprimer ses idées intimes les plus profondes, est essentielle pour l’épanouissement individuel. Cela inclut la liberté de croire ou ne pas croire. Cela inclut aussi la liberté d’exprimer des signes religieux dans la plupart des contextes.

Il n’a pas de liberté de conscience- sans liberté d’expression. Les deux vont ensemble. A quoi sert-il de pouvoir réfléchir, sans avoir le droit d’exprimer ses pensées? Jusqu’à aujourd’hui, les lecteurs m’ont insulté librement dans mes blogs, parce que je suis sensible et attachée à cette question de liberté d’expression, en raison de mon travail. Je crois que ça a étonné plus d’un !

La seule limite à la liberté d’expression, c’est l’incitation à la haine de l’autre. Cela crée des débats formidables aujourd’hui : où franchit-on la ligne rouge ?

Alors que l’incitation à la haine religieuse flambe partout dans le monde, j’ai aussi pris acte des sentiments antimusulmans dans les commentaires de mon blog. Je le regrette. Les mots sont importants. Dans les démocraties libérales, pas tous les mots mènent à la violence, mais il n’y a aucune violence qui commence sans la prononciation des mots.

Tout ce que je demande au lecteur, c’est d’exercer sa parole avec liberté et responsabilité. Je suis loin d’être naïve. En revanche, je défendrai toujours la nuance. Discuter de questions aussi complexes que les religions, la laïcité, la violence et les libertés, c’est un cocktail explosif !

Voilà ce que je pense :

     1. Oui, on PEUT étudier sérieusement le terrorisme islamique et étudier les violations des droits de l’Homme commis au nom de la charia, sans sombrer dans l’amalgame de projeter nos anxiétés sur tous les Musulmans.
     2. Oui, on peut critiquer l’Islam- sans recourir à des théories complotistes qui diabolisent ceux avec qui on est en désaccord.
     3. Oui, on PEUT défendre la laïcité en affirmant que c’est la meilleure façon de défendre la liberté de religion et de conscience pour tous.
   4. Oui, on PEUT s’opposer au populisme et la démagogie, en estimant que notre démocratie est l’un des plus beaux miracles politique du monde.

En gros, je souhaite une société pleine de nuances.

Simplifier des question complexes, à mon sens, ça fait de la mauvaise politique.

 

Voir le blog ici!