joelle fiss 08 juillet 2021

« Il y a eu 500 morts aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) causés par le COVID, c’est-à-dire, plus de morts que pendant toute la durée de la Seconde Guerre mondiale dans le Canton, explique avec émotion le Directeur des HUG Bertrand Levrat, essuyant une larme devant un auditoire en silence. Le documentaire « Douze mois face au COVID » vient d’être projeté en avant-première (le 29 juin 2021). Il retrace la vie intérieure de l’hôpital le plus touché en Suisse par la pandémie. Car n’oublions pas, les HUG ont soigné autant de patients que Berne, Zurich, Bâle et Lausanne réunis.  

Le documentaire pose les premiers jalons de la mémoire collective genevoise, mais les réminiscences personnelles du Directeur des HUG y participent aussi.  Bertrand Levrat a donc accepté d’évoquer ses souvenirs de 2020 quand je lui ai proposé.

Cet humanitaire-délégué du CICR connaît bien la mobilisation en situations d’urgences. En 2020, il est aussi « sur le terrain ». Mais autrement. Ce qui l’effraye le plus est la courbe exponentielle du COVID, impossible à dompter. Tous les 5 jours, le nombre de patients double. C’est une course contre la montre, où il faut suffisamment de lits et d’oxygène pour éviter le scénario cauchemar ultime, celui de désigner les personnes qui pourraient bénéficier des soins les plus urgents. Son travail consiste à être le « capitaine dans la tempête » où en quelque sorte, il faut visiter toutes les équipes à bord pour tenir le cap. L’inconnu est l’adversaire. « On découvre que la courbe des contaminations monte de façon exponentielle mais elle descend de façon linéaire ».    

Le staff hospitalier ressent un vif décalage avec la population genevoise confinée. Par exemple, le Directeur des HUG vivait dans une dimension temporelle différente. « J’avais l’impression que la population regardait dans le rétroviseur en permanence », se souvient-il. Alors que le journal télévisé rapportait les nouvelles du jour (par exemple, le nombre de morts chiffrés dans la journée, la mise à jour du nombre d’hospitalisations, etc.), ces statistiques ne faisaient que refléter les décisions politiques prises 15 jours auparavant. « A l’Hôpital, nous vivions dans une autre réalité temporelle, celle de la courbe exponentielle, pas celle du quotidien immédiat ».

Lors du pic de la 1ère vague, 478 patients COVID ont été hospitalisés simultanément. Mais le pire restait à venir. 735 patients ont été hospitalisés aux HUG et dans les cliniques au pic de la 2ème. Au total, ce sont 4700 patients qui ont été hospitalisés aux HUG. C’est entre les deux vagues que le décalage s’est ressenti fortement aussi.  « Alors que la population avait besoin de décompresser et vivait en quelques sortes l’illusion d’une normalité reprise, on n’a pas pu se synchroniser avec cet état d’esprit. D’un côté, les acteurs de la société avaient besoin d’action et de l’autre côté, les acteurs de la santé avaient besoin de repos ».

Bertrand Levrat est fier que Genève ait traversé la crise « en tant que région, pas en tant que canton ». Il s’explique : « Les HUG ont joué un rôle régional. Ça nous a tous rendu plus fort. La libre circulation et la souplesse des frontières ont eu un impact important. On était en contact permanent avec les infrastructures médicales de la Haute-Savoie et d’Annecy. Nous n’avons jamais écarté un patient sur la base de sa nationalité ».

A-t-il des regrets ?

« Non, on a fait tout ce qu’on a pu. Je pense que j’aurais voulu être nulle part ailleurs ».